Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/339

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sidérer comme une gloire allemande ce vieux grognon de Bahnsen[1] qui, à l’égal d’une toupie bourdonnante, a tourné, sa vie durant, avec volupté autour de sa misère réaliste et dialectique, autour de sa « malchance personnelle », — cela serait-il peut-être allemand ? (Je recommande en passant ses écrits pour l’usage que j’en ai fait moi-même, comme nourriture anti-pessimiste, surtout à cause de ses elegantœ psychologicœ, avec quoi, il me semble, on pourrait s’attaquer même au corps et à l’esprit les plus bouchés). Ou bien pourrait-on compter parmi les vrais Allemands un dilettante et une vieille fille comme Mainländer[2], ce doucereux apôtre de la virginité ? En fin de compte c’était probablement un juif (tous les juifs se font doucereux lorsqu’ils moralisent). Ni Bahnsen, ni Mainländer, ni même Edouard de Hartmann ne donnent une indication précise sur la question de savoir si le pessimisme de Schopenhauer, le regard épouvanté qu’il jette dans un monde privé de Dieu, un monde devenu stupide, aveugle, insensé et problématique, son épouvante loyale… n’ont pas été seulement un cas exceptionnel parmi les Allemands mais un événement allemand : tandis que tout ce qui pour le reste se trouve au premier plan, notre vaillante politique, notre joyeux patriotisme qui considère résolument toute chose sous l’angle d’un principe peu philosophique (« L’Allemagne, l’Alle-

  1. J. T. A. Bahnsen (1830-1881), auteur d’une Contribution à la Caractériologie (1867), continuateur de Schopenhauer et adversaire d’Ed. de Hartmann. (N. d. T.)
  2. Auteur, en collaboration avec sa sœur, d’une Philosophie de la rédemption. (N. d. T.)