Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/345

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vient poison, la culture devient poison, la propriété devient poison, la solitude devient poison — finit par tomber dans un état habituel de vengeance, de volonté de vengeance… Que croyez-vous qu’il puisse avoir besoin, absolument besoin, pour se donner, à part soi, l’apparence de la supériorité sur des hommes plus intellectuels, pour se créer la joie de la vengeance accomplie, au moins pour son imagination ? Toujours la moralité, on peut en mettre la main au feu, toujours les grands mots de morale, toujours la grosse-caisse de la justice, de la sagesse, de la sainteté, de la vertu, toujours le stoïcisme de l’attitude (— comme le stoïcisme cache bien ce que quelqu’un n’a pas !…) toujours le manteau du silence avisé, de l’affabilité, de la douceur et quels que soient les noms que l’on donne au manteau de l’idéal sous lequel se cachent les incurables contempteurs de soi, qui sont aussi les incurables vaniteux. Il ne faudrait pas que l’on me comprît mal : il arrive parfois que, de ces ennemis nés de l’esprit, se développent ces rares exemplaires d’humanité que le peuple vénère sous le nom de saint et de sage ; c’est de tels hommes que sortent ces monstres de morale qui font du bruit, qui font de l’histoire, — saint Augustin en fait partie. La crainte de l’esprit, la vengeance sur l’esprit — hélas ! combien souvent ces vices qui ont une véritable puissance dynamique n’ont-ils pas donné naissance à la vertu ! Oui, à la vertu ! — Et, entre nous, la prétention des philosophes à la sagesse, cette prétention — la plus folle et la plus immodeste —, qui a été soulevée çà