Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/355

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essayer : on étend la main vers nous et l’on n’arrive pas à nous saisir. Cela effraye. Ou bien : nous entrons par une porte fermée. Ou bien : quand toutes les lumières sont éteintes. Ou bien encore : lorsque nous sommes déjà morts. Ce dernier procédé est l’artifice des hommes posthumes par excellence. (« Pensez-vous donc, s’écria un jour un de ceux-là avec impatience, que nous aurions envie de supporter cet éloignement, cette froideur, ce silence de mort qui règnent autour de nous, toute cette solitude souterraine, cachée, muette, inexplorée qui chez nous s’appelle vie et qui pourrait tout aussi bien s’appeler mort, si nous ne savions pas ce qui adviendra de nous, — et, qu’après la mort seulement nous réaliserons notre vie, nous nous mettrons à être vivants, très vivants ! nous autres hommes posthumes ! » —)

366.

En regard d’un livre savant. — Nous ne faisons pas partie de ceux qui n’ont de pensées que parmi les livres, sous l’impulsion des livres, — nous avons l’habitude de penser en plein air, en marchant, en sautant, en grimpant, en dansant, le plus volontiers sur les montagnes solitaires ou tout près de la mer, là-bas où les chemins même deviennent problématiques. Notre première question pour juger de la valeur d’un livre, d’un homme, d’un morceau de musique, c’est de savoir s’il y a là de la marche et, mieux encore, de la danse… Nous lisons rarement, nous n’en lisons pas plus