Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/358

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bus — de tout ce qui ne peut pas se présenter devant vous avec une probité absolue dans sa préparation et ses moyens ! (Le génie lui-même n’aide pas à passer sur de pareilles lacunes, bien qu’il s’entende à les faire oublier avec une habile tromperie : on comprendra cela lorsque l’on aura regardé de près nos peintres et nos musiciens les plus doués — ils savent tous, presque sans exception, par l’habile invention de manières et d’accessoires et même de principes, se donner, artificiellement et après coup, l’apparence de cette probité, de cette solidité d’école et de culture, sans réussir, il est vrai, à se tromper eux-mêmes, sans imposer définitivement silence à leur propre mauvaise conscience. Car, vous le savez bien ? tous les grands artistes modernes souffrent de leur mauvaise conscience…)

367.

Quelle est la première distinction à faire pour les œuvres d’art. — Tout ce qui est pensé, versifié, peint, composé, même construit et formé, appartient ou bien à l’art monologué, ou bien à l’art devant témoins. Il faut encore compter parmi ce dernier l’art qui n’est qu’en apparence un art monologué et qui renferme la foi en Dieu, tout le lyrisme de la prière : car pour un homme pieux il n’y a pas encore de solitude, — c’est nous qui avons été les premiers à inventer la solitude, nous autres impies. Je ne connais pas de différence plus profonde dans toute l’optique d’un artiste : savoir si c’est avec l’œil du témoin qu’il observe la genèse de son œu-