Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/154

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
154
PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

suivre les instincts, mais persuader à la raison de les appuyer de bons arguments. Ce fut là la vraie fausseté de ce grand ironiste riche en mystère. Il amena sa conscience à se contenter d’une façon de duperie volontaire. Au fond, il avait pénétré ce qu’il y a d’irrationnel dans les jugements moraux. — Platon, plus innocent en pareille matière et dépourvu de la rouerie du plébéien, voulait se persuader à toute force — la plus grande, force qu’un philosophe eût déployée jusque-là ! — que raison et instinct tendaient spontanément au même but, au bien et à Dieu. Et, depuis Platon, tous les théologiens et tous les philosophes suivent la même voie, — c’est-à-dire qu’en morale l’instinct, ou, comme disent les chrétiens, « la foi », ou, comme je dis, moi, « le troupeau », a triomphé jusqu’à présent. Il faudrait en excepter Descartes, père du rationalisme (et, par conséquent, grand-père de la Révolution), qui ne reconnaissait d’autorité qu’à la raison : mais la raison n’est qu’un instrument, et Descartes était superficiel.

192.

Celui qui poursuit l’histoire d’une science particulière trouve, dans le développement de cette science, un fil conducteur qui lui fait comprendre les procédés les plus anciens et les plus communs de toute « connaissance ». Ici, comme là-bas, les hypothèses prématurées, les fantaisies, la « bonne