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PAR DELÀ LE BIEN ET LE MAL

tendu réciproque. On rencontre même parfois leur étroite juxtaposition, qui va jusqu’à les réunir dans un même homme, à l’intérieur d’une seule âme. Les différenciations de valeurs dans le domaine moral sont nées, soit sous l’empire d’une espèce dominante qui ressentait une sorte de bien-être à prendre pleine conscience de ce qui la plaçait au-dessus de la race dominée, — soit encore dans le sein même de ceux qui étaient dominés, parmi les esclaves et les dépendants de toutes sortes. Dans le premier cas, lorsque ce sont les dominants qui déterminent le concept « bon », les états d’âmes sublimes et altiers sont considérés comme ce qui distingue et détermine le rang. L’homme noble se sépare des êtres en qui s’exprime le contraire de ces états sublimes et altiers ; il méprise ces êtres. Il faut remarquer de suite que, dans cette première espèce de morale, l’antithèse « bon » et « mauvais » équivaut à celle de « noble » et « méprisable ». L’antithèse « bien » et « mal » a une autre origine. On méprise l’être lâche, craintif, mesquin, celui qui ne pense qu’à l’étroite utilité ; de même l’être méfiant, avec son regard inquiet, celui qui s’abaisse, l’homme-chien qui se laisse maltraiter, le flatteur mendiant et surtout le menteur. C’est une croyance essentielle chez tous les aristocrates que le commun du peuple est menteur. « Nous autres véridiques » — tel était le nom que se donnaient les nobles dans la Grèce antique. Il est évident que les dénomi-