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QU’EST-CE QUI EST NOBLE ?

nations de valeurs ont d’abord été appliquées à l’homme, et plus tard seulement, par dérivation, aux actions. C’est pourquoi les historiens de la morale commettent une grave erreur en commençant leur recherche par une question comme celle-ci : « Pourquoi louons-nous l’action qui se fait par pitié ? » L’homme noble possède le sentiment intime qu’il a le droit de déterminer la valeur, il n’a pas besoin de ratification. Il décide que ce qui lui est dommageable est dommageable en soi, il sait que si les choses sont mises en honneur, c’est lui qui leur prête cet honneur, il est créateur de valeurs. Tout ce qu’il trouve sur sa propre personne, il l’honore. Une telle morale est la glorification de soi-même. Au premier plan se trouve le sentiment de la plénitude, de la puissance qui veut déborder, le bonheur de la grande tension, la conscience d’une richesse qui voudrait donner et répandre. L’homme noble, lui aussi, vient en aide aux malheureux, non pas ou presque pas par compassion, mais plutôt par une impulsion que crée la surabondance de force. L’homme noble rend honneur au puissant dans sa personne, mais par là il honore aussi celui qui possède l’empire sur lui-même, celui qui sait parler et se taire, celui qui se fait un plaisir d’être sévère et dur envers lui-même, celui qui vénère tout ce qui est sévère et dur. « Wotan a placé dans mon sein un cœur dur », cette parole de l’antique saga scandinave est vraiment sortie de l’âme d’un viking orgueilleux. Car lorsqu’un