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Page:Nignon - L'heptaméron des gourmets.djvu/38

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des envoyés d’Akakia. Aussi firent-ils fête aux huîtres de Marennes, au jambon de Luxeuil, aux œufs brouillés, farcis et pochés de toutes façons qui ouvrirent le repas. Mais ce fut une clameur délirante, digne du thyrse de Bassareus, lorsque quatre Valets fort bien faits et vêtus d’une livrée resplendissante apportèrent sur leurs épaules, au son des violes et des flûtes, une énorme carpe en terrine, avec un buisson de homards bonne-dame.

« Je voudrais avoir un col de grue, comme le souhaitait Philoxène, s’exclama Léander, afin de pouvoir goûter plus longtemps le plaisir d’avaler tous ces coulis et toutes ces sauces !

— Je reprendrai un petit de cette selle de Béhague avec un doigt de Romanée, dit Adraste.

— Pour moi, j’ai assez bu, dit Elpénor, j’ai vin de pie. Donnez-moi une tranche de daube. »

La bonne chère, le vin déliaient à la fois toutes les langues et les convives faisaient assaut d’esprit, racontant cent folies et tenant les propos les plus gais.

On n’avait pas encore achevé la Salade Florise et pas encore entamé les Délices aux fraises qu’une cloche se fit entendre.

« C’est le dîner qui sonne, dit le bon roi Philène, placide devant ses quinze verres de Venise, tandis qu’à ses côtés ses Choux jouaient aux jonchets avec ses cure-dents.

— Comment, s’écria le divin Porphyre, nous ne nous levons pas de table ?

— Pour aujourd’hui, non ; nous prendrons l’air en continuant de manger ; d’ailleurs vous n’êtes pas encore remis des fatigues de la traversée. »

Déjà les serviteurs, passant entre les convives, leur offraient le Caviar aux tranches de brioches grillées.

« Heureux Pays, heureux habitants, soupirait Eurydamas en se renversant béatement dans son fauteuil. Sans nul doute, ô Cocanéens, les maux qui sévissent sur notre triste continent et gâtent les rapports entre les hommes vous sont-ils à peu près tous épargnés : l’horrible soif de l’or, l’esprit de domination et tous ces appétits que notre raison est impuissante à maîtriser. Dites-moi, Triptolème, dans votre belle Cocagne, l’injustice, le dol, le meurtre et la rapine existent-ils ? Je ne vois chez vous ni casernes, ni tribunaux, ni prisons.

— En effet, nous ignorons ces institutions que le reste des humains considère comme indispensables à leur bonheur. Nous n’avons non plus ni