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POÉSIES

Ayant dans mon berceau trouvé de la fortune,
Fallait-il exploiter des mines dans la lune ?
Prendre des actions qu’oncques on ne paya
Ou créer des tramways Paris-Himalaya ?…
Fallait-il des chevaux cafres carder la laine
Me consacrer à la bretelle américaine ?
Monter des opéras ou publier des vers ?…
Poser un téléphone entre les univers ?
Oui, j’aurais travaillé, mais j’aurais fait faillite !…
Si vous croyez que c’est pour cela qu’on hérite.
Quoi ! j’irais m’abrutir dans un obscur emploi !
Je ne suis fait pour rien, mais tout est fait pour moi.
L’artiste, le marchand, l’ouvrier, l’ouvrière,
L’usinier, le mineur, le fermier, la fermière…
Ce monde qui se meut, et qui poursuit un but,
C’est l’orchestre et je suis le ténor donnant l’Ut —
Oh ! ne me prenez pas pour un être inutile.
Une prairie en fleurs vaut bien un champ fertile ;
Je ne travaille pas, mais je fais travailler.
C’est pour moi que l’on voit les grands tailleurs tailler
Ces vestons à carreaux insensés qu’on raconte
Dans les journaux. Gilets très ouverts où l’on compte
Les battements cherchés d’un cœur qui ne bat pas.
Ces pantalons formant un gracieux compas.
Le chemisier, ayant fait ma chemise, dîne.
Le hâve jardinier qui tristement jardine
Pourrait-il vivre, si je lui manquais, hélas ?
Je suis sa providence en offrant ses lilas,