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POÉSIES

Ses fraises, ses raisins, ses asperges en branches,
En faisant croquer ses primeurs par des dents blanches.
Je suis le protecteur des chemins de fer, car,
Dans mes déplacements, j’use les sleeping-car.
Si chauffent les vapeurs, si se gonflent les voiles,
Si le marin pensif voit pâlir les étoiles,
C’est pour qu’après souper je boive la liqueur
Au parfum vanillé qui réjouit le cœur,
Et que je fume, à l’heure où le viveur se vanne,
Les cigares dorés venus de la Havane.
Pour moi, pour mes pareils la nature a tout fait :
La neige tombe afin de glacer le parfait.
Quand dans les claires eaux des grands fleuves ils glissent,
C’est pour nous que la truite et le saumon s’unissent,
Prenant pour rendez-vous les flots céruléens.
Au légendaire abri des rochers vendéens,
C’est pour nous seuls que les jeunes huîtres engraissent.
C’est pour nous que la dinde et la truffe apparaissent.
Les moutons sont flattés lorsque nous les mangeons,
Les pigeons sont créés pour le tir aux pigeons.
Je suis, convenez-en, le pivot du commerce.
Si, très prochainement, monsieur de Lesseps perce
Après l’isthme de Suez, l’isthme de Panama,
Question de chapeaux !… Non, jamais nul n’aima
Autant l’humanité, nul n’est moins égoïste
Qu’un élégant gommeux, jeune, aux instincts d’artiste