Page:Ninous - L Empoisonneuse.pdf/36

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M. de Sauvetat était revenu de son voyage à travers le monde, triste et songeur. Sa gaîté d’autrefois avait disparu sous une couche de mélancolie que rien ne pouvait dissiper. On aurait dit qu’avec le vieux général, sur la terre arabe, sa jeunesse aussi avait été ensevelie. Cependant il était tendre et bon avec sa femme qu’il adorait, il était fou de sa fille qu’il tenait de longues heures dans ses bras. Rien n’était attendrissant alors comme la vue de cet homme froid et correct avec tous ceux qui l’approchaient, assouplissant sa raideur, fondant son austérité pour bégayer avec sa Marguerite ces riens charmants que les pères et les mères seuls savent comprendre et redire.

Ce bonheur caché aux yeux de tous, à peine deviné par quelques-uns, dura jusqu’à la première communion de Marguerite.

À cette époque, sa mère, élevée elle-même dans un pensionnat de Bordeaux, exigea que sa fille suivît son exemple et allât terminer ses études dans cette ville…

Marianne dut alors se séparer de l’enfant qui ne l’avait jamais quittée.

Le départ fut presque raisonnable, à part quelques sanglots de Marguerite, que l’idée du voyage, du mouvement et d’une nouvelle vie apaisa facilement.

Marianne s’était à peine émue ; avec le plus grand calme, elle avait elle-même préparé les robes et les vêtements de la mignonne, la consolant, essuyant ses larmes, lui promettant d’aller la voir souvent, car Bordeaux n’est pas très loin de Roqueberre. Puis les derniers baisers furent échangés, la voiture se referma et bientôt il ne resta plus de tout cela que le bruit indistinct d’un roulement presque aussitôt emporté par le vent du soir.