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d’annonciations au milieu de la nature : cet événement ne concerne que les hommes, leurs machines, leurs marchandises, leurs monnaies, leurs États et leurs idées. Nous sommes arrivés au temps où les hommes sont définitivement seuls entre eux sur la terre, et les signes naturels ne se forment plus pour les avertir comme au temps de la mort de César.

Toutes les fourmis de l’esprit commencent à se mettre en mouvement, réveillées par des coups sévères qui bouleversent les couloirs propres et polis où elles avaient accoutumé de monter et de descendre avec leurs petits fardeaux de pensées. Les penseurs, les politiques, les professeurs d’économie, les diplomates, les banquiers, et ceux que les flatteurs nomment capitaines d’industrie s’assemblent et ils découvrent que tout ne va pas dans le monde comme le voudrait l’ordre des nations et comme l’exige le profit. À la place longtemps assurée de l’ordre, à la place de ce repos où respirent également les sociétés et les personnes, ils s’aperçoivent de l’entrée du désordre, de l’arrivée des catastrophes. Cette anarchie visible est une inquiétude pour leur avenir et un scandale au regard de leur raison.

Les stocks de marchandises restent entassés dans les coins comme des tas de cailloux. On jette les sacs de café à la mer. Le blé flambe dans le foyer des chaudières. Les élévateurs du Pool canadien se dressent aussi vainement que les pyramides de Gizeh. Les prix du bushel de grain tombent comme des pierres. Des groupes de chômeurs traînent le long de Michigan Avenue. Des bandes de fermiers ruinés montent au pillage des magasins de comestibles dans les petites villes endormies du Middle West. La police charge les sans-travail de Tokio. La police attend avec des mitrailleuses et des gaz les grévistes noirs de Pennsylvanie. Des équipes armées se fusillent à