Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/121

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

n’aient plus rien à faire qu’à se laisser mourir, qu’à accepter les coups ? Il faudra d’ici là, patiemment si nous avons le loisir cruel de la patience, sinon, tout le temps qui nous restera, il faudra les préparer à ces menaces. Il faudra bien leur donner les armes que la bourgeoisie leur refuse, et les moyens d’y voir clair, et les moyens de savoir que les catastrophes bourgeoises annonceront la venue de leur heure, et les moyens de savoir où ils iront alors et comment ils iront. Il faudra bien les mettre en position de résister aux derniers assauts bourgeois.

Sans doute, nous sentons bien que notre colère et que notre impatience et que la vision de notre avenir ne se traduisent en mots et ne se déguisent sous des feuilles d’impression que faute de mieux. Sans doute nous serait-il plus précieux d’abattre que de réfuter, de nous battre que de persuader, de combattre que de gagner des combattants futurs, nous connaîtrions une joie plus vaste et plus virile de nous asseoir dans nos maisons un soir de victoire que d’avoir travaillé la matière du langage. Le vent de cette victoire soulèverait toute la poussière de nos réfutations et nous délivrerait de nos tas de discours et de nos tas de livres et nous nettoierait de notre rhétorique. Mais l’heure n’est pas encore venue, il n’est pas encore temps. La puissance et l’effusion de cette victoire, le moment de cette victoire, il nous faut les préparer et les nourrir patiemment et sordidement. Qu’il faut d’épures, de dessins bleus, de marchandages, de rendez-vous, de discussions, de persuasions et de contacts avant de voir le premier train d’une ligne nouvellement ouverte franchir un pont nouvellement lancé. Que de problèmes, que de plans, avant le moindre achèvement humain !

Nous devons aujourd’hui savoir qu’il n’est pas de tâche trop basse si de loin seulement, elle