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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/161

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doit écrire ou lire contre la théologie et l’abstraction ou contre le matérialisme vulgaire me fâche. C’est quand même tout autre chose quand, au lieu de toutes ces chimères — car l’homme non encore réalisé reste lui-même une chimère jusqu’à sa réalisation — on s’occupe de choses réelles et vivantes, de développements historiques. Au moins cela est ce qu’il y a de meilleur aussi longtemps que nous en serons réduits au seul usage de la plume et que nos pensées ne pourront pas être immédiatement réalisées par les mains, ou s’il le faut, par les poings. » (À Marx, 19 novembre 1844.)

Les philosophes révolutionnaires recevront plus du prolétariat qu’ils ne lui donneront. Un homme n’embrasse le parti d’une classe que pour des intérêts fort précis : dans l’esprit d’un intellectuel, les destinées mêmes de l’intelligence peuvent offrir un intérêt singulièrement puissant. La situation de la philosophie bourgeoise rend impossible la satisfaction réelle de cet intérêt spécial. L’épuisement de la culture bourgeoise, les impasses où la science est acculée, le dépérissement de la philosophie, la barbarie enfin où cette culture s’abîme contraignent un certain nombre d’intellectuels à se diriger vers un avenir où sera possible un nouveau bond en avant. Un homme comme Auguste Comte s’avisait déjà des ressources que le prolétariat pouvait offrir au développement de la philosophie. Dans le Discours sur l’ensemble du Positivisme, on lit : « Le positivisme ne peut obtenir de profondes adhésions collectives qu’au sein des classes qui, étrangères à toute vicieuse instruction de mots ou d’entités, et naturellement animées d’une active sociabilité, constituent désormais les meilleurs appuis du bons sens et de la morale. En un mot, nos prolétaires sont seuls susceptibles de devenir les auxiliaires décisifs de nouveaux philosophes. L’impulsion génératrice dépend surtout d’une intime alliance entre ces deux éléments extrêmes de l’ordre final. Malgré leur diversité naturelle, toutefois bien plus apparente que réelle, ils comportent, au fond, beaucoup d’affinité intellectuelle et morale. Les deux genres d’esprit présenteront de plus en plus le même instinct de la réalité, une semblable prédilection pour l’utile, et une égale tendance à subordonner les pensées de détail aux vues d’ensemble. De part et d’autre se développeront aussi les généreuses habitudes d’une sage imprévoyance naturelle et un pareil dédain des grandeurs temporelles : du moins quand les vrais philosophes auront formé, par le commerce des dignes prolétaires, leur caractère définitif. » Le mot final,