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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/26

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échange des entretiens philosophiques. Il est préformé. Aux yeux de chaque penseur il parut tel qu’il paraît aujourd’hui. Dans ce milieu à température constante, dans ce climat préservé des catastrophes, des orages, la Raison a poussé comme une plante solitaire, identique sous une diversité apparente qui ne trompa jamais les initiés. Comme une Idée de Platon demeure identique sous les apparitions des objets où son essence se fait jour.

Le monde matériel est ce qu’il est, et sa réalité, pour autant qu’elle ne se mesure point aux étalons de la science, pour autant qu’elle est inhumaine, est antérieure à toute spéculation et demeure indépendante des transformations des pensées. Le passage du mouvement circulaire au mouvement elliptique n’affecta point la réalité des astres : mais une pensée qui s’en tient au cercle ne possède pas le même monde matériel que celle qui peut tenir compte de l’ellipse. Le monde qui est l’objet de la philosophie est une construction des techniques, des sciences et des actions. Une modification continue de cet univers représentable interdit à Kant de répondre mot pour mot à Leibniz. Les différences capitales qui séparent les mondes contemporains de chaque philosophie interdisent aux philosophes d’attribuer des sens homogènes aux diverses expressions de la pensée générale : un nombre réduit d’éléments invariants peut seul leur donner l’illusion d’habiter le même univers permanent. Un calcul philosophique qui n’est point encore achevé pourra seul permettre de passer d’un système à un autre système d’une manière critique. Peut-être ne saurait-on même répondre à la rigueur qu’à ses seuls contemporains.[1]

  1. Cf. note A.