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reconnaît pleinement en parole que sa tâche est de travailler pour l’Homme.

Mais ni M. Rabaud, ni M. Perrin, ni M. d’Ocagne, ni M. Meyerson ne proclament que c’est là leur tâche et leur fonction. Quand M. Langevin prend position sur la question de la guerre, quand il parle de la nécessité de lutter contre elle, on aurait tort de croire qu’il agit en tant que physicien ou plus vaguement en tant que clerc. Il ne parle que comme personne privée. Lorsque le Professeur Einstein annonce qu’il refusera de collaborer à aucune guerre, sans vouloir considérer le bon droit ou le mauvais droit de son pays, il parle comme homme et non comme auteur de la théorie de la Relativité. Il est naïf et vraiment bourgeois de croire que la protestation de M. Langevin et celle de M. Einstein ont plus de valeur que celle d’un homme sans nom, à peine sont-elles plus difficiles. Simplement elles offensent davantage la bourgeoisie qui n’aime pas que ses plus grands hommes abandonnent les valeurs auxquelles elle croit et tient. Mais il existe chez les philosophes du second genre une certaine idée de leur mission propre, de la mission spéciale attachée à l’accomplissement de leur spécialité. Cette idée a une histoire, et une portée moderne qui doivent être décrites et jugées. M. Brunschvicg se rend compte qu’il a, comme philosophe et non plus comme personne privée, une certaine obligation à remplir et certains modèles à imiter. Il dit :

« Les héros de la vie spirituelle sont ceux qui, sans se référer à des modèles périmés, à des précédents devenus anachroniques ont lancé en avant d’eux-mêmes des lignes d’intelligence et de vérité destinées à créer un univers moral de la façon dont elles ont créé l’univers matériel de la gravitation et de l’électricité. »[1]

  1. Revue de métaphysique et de morale, 1925.