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innocente est pourtant l’un des lieux où l’armement d’un prosélytisme est poussé.

Les philosophes sont même des gens qui ont plus de partis pris que les profanes dont ils traduisent méthodiquement l’esprit. Et il n’y a jamais eu que deux partis à prendre, celui des oppresseurs et celui des opprimés. La Philosophie bourgeoise au temps de son adolescence a pris elle-même un parti qui était celui des opprimés, qui était celui de la bourgeoisie opprimée. Tout le malheur vient de la propre distraction de ses représentants : aucun n’a vu se transformer en philosophie des oppresseurs ce qui avait été la philosophie des opprimés. Personne n’a vu Voltaire, personne n’a vu Kant passer de l’autre côté des barricades. Seul s’en est avisé le prolétariat devenu en cent ans le seul représentant et la seule masse des opprimés. Mais les philosophes continuent à affirmer que la Philosophie en général ignore les partis et les partis pris. Cette vierge aime la Vérité pour elle-même, comme sainte Thérèse aimait Dieu. Et même ils le croient. Ils ne prennent point garde qu’on a toujours mis la Vérité à la sauce qu’on voulait. Qu’il y a mille recettes pour l’accommoder.

Toute philosophie cherche à établir et à justifier des vérités spirituelles conformes à certains types d’existence temporelle, elle les exhibe méthodiquement au moyen de raisonnements et de concepts. Comme le même répertoire de concepts et de raisonnements peut entrer dans l’établissement de vérités fort diverses, il est facile de croire que les vérités ne sont que des parties de la Vérité unique en faisant fonds une fois encore sur la philosophie des vêtements.

La nature de la Philosophie comme de tout autre activité humaine est au vrai de servir des personnes et leurs intérêts. En apparence, les philosophes peuvent paraître purs de tout intérêt