Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/49

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’elle a réellement cessé depuis l’avènement de la Trinité démocratique de prendre des partis.

On rencontre beaucoup de gens qui la détestent, mais disent qu’elle est morte, qu’on peut l’oublier sans arrière-pensée, qu’elle ne secourt sans doute personne, mais ne ferait pas de mal à une mouche, qu’elle est en effet si parfaitement pure et écartée de la vie qu’elle ne menace rien, qu’elle ne combat rien, que les hommes peuvent dormir tranquilles et ne point la craindre. Il est vrai, de nouveau, que les gardes mobiles, le Comité des Forges, les planteurs de caoutchouc sont plus menaçants pour le destin des hommes que les discussions des Congrès philosophiques et que les décades de Pontigny : congrès et décades ont quelques traits comiques qui inclinent à l’indulgence, qui retiennent de croire que M. Desjardins doive être combattu. Philosophie pour la Philosophie. Art pour l’Art. M. Bergson serait le Théophile Gautier de la Philosophie.

Mais il ne faut plus prendre des désirs pour des faits, des vœux pour leur satisfaction. Il ne faut pas être désarmé par cette indulgence, par cette fausse délivrance du rire.

Cette philosophie n’est pas morte, mais doit être tuée. Elle n’a de la mort que les apparences inoffensives, elle n’est pas encore un cadavre en décomposition. Ces mises à mort ont toujours eu lieu dans l’histoire de la Philosophie, comme dans celle de la politique et de l’économie. Une philosophie ne finit pas plus de son propre mouvement qu’un régime ne meurt sans ennemis. Une nouvelle philosophie ne triomphe pas avant que la philosophie précédente n’ait été détruite. Il faut travailler à sa dissolution. Ainsi Emmanuel Kant proclamait avec l’ardeur de l’antique révolution bourgeoise :

« Pour que la vraie philosophie renaisse, il faut que l’ancienne disparaisse… La putréfaction est la dissolution la plus entière qui