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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/56

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tement autour d’eux, le destin à tout prendre réussi de leur classe ne sauraient les empêcher d’être atteints par une certaine rumeur d’irritation, de mécontentement et d’angoisse. Si éloignés qu’ils puissent être des faits vulgaires et offensants qui forment l’histoire particulière des hommes non bourgeois, il ne se peut pas qu’ils ne lisent jamais les journaux. Ils connaissent vaguement qu’il existe des êtres qui sont pauvres, qui sont fatigués, et qui sont révoltés par cette pauvreté et par cette fatigue. Ils entendent parler de grèves. D’émeutes. De suicides. Ils devinent que l’inquiétude du monde peut se tourner un jour contre le repos de la classe qu’ils aiment, et mettre en question sa puissance. Ils devinent que des hommes révoltés peuvent menacer ce qu’ils ont pour tâche de prouver et de défendre, les objets mêmes de leur foi, la liberté de leur méditation, la beauté des pensées qu’ils forment et des tableaux qu’ils admirent. La solidité de leurs revenus. La permanence des héritages qu’ils veulent léguer à leurs enfants.

Ainsi reprennent-ils sans fin leurs promesses et leurs bons conseils. Ainsi recommencent-ils à justifier leur existence et leur fonction, à commenter les maîtres mots de la philosophie de leur classe. Ils reparlent des progrès, des pouvoirs, des promotions de la Raison. Ils annoncent prophétiquement le développement pacifique de la conscience, l’enrichissement spirituel de la personne humaine, l’accomplissement de la Justice à l’intérieur de l’Homme et au sein des sociétés. Ils entretiennent l’espoir dans les ressources apparemment les plus faciles. Ainsi M. Brunschvicg conclut par ces lignes le Progrès de la Conscience dans la Philosophie Occidentale, ce bréviaire philosophique de l’Univers où tout est bien qui finit bien :

« Pour faire face aux dangers qui aujourd’hui autant que jamais le menacent dans son avenir