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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/57

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terrestre, pour ne pas avoir à recommencer son histoire, il faut donc qu’il en médite sérieusement le cours, qu’il sache transporter dans le domaine de la vie morale et de la vie religieuse cette sensibilité au vrai défiante et délicate qui s’est développée en lui par le progrès de la science et qui est le résultat le plus précieux et le plus rare de la civilisation occidentale. La vérité délivre, à condition seulement qu’elle soit véritable. »

Mais tous ces mots ne recouvrent aucune réalité, ne traduisent aucun engagement réel, ne fournissent aucun moyen de salut, car ils ne visent rien que des Idées. Car ils visent simplement l’idée du Bonheur, ou l’Idée de la Liberté jointes à l’Idée d’Homme. Mais non le bonheur et la liberté terrestres de tel homme ou de telle femme. Ces sages annoncent l’incarnation des Idées que leurs pères leur transmirent : il ne faut point douter de cette venue : cela est certain, cela est déduit de la nature de la Raison et de la marche de l’Histoire. De l’Idée de Raison. De l’Idée d’Histoire. Ces prophètes du progrès spirituel et social ne posent de questions qu’aux idées éternelles. Ne dévoilons pas la réalité du monde. À l’abri de l’Éternel, complice des oppresseurs, se complotent tous les attentats.

Ils ont eux-mêmes toutes ces illusions qu’ils espèrent faire partager à ceux qui ne les possèdent point par nature ou naissance. Il y a en eux une confiance que les catastrophes mêmes n’ébranlent pas dans la valeur et l’avenir de leur raison : les catastrophes tournent à la plus grande gloire de cette Raison. Pangloss connaissait bien ces tours. Qui n’est pas content d’elle et le dit, ils voient en lui un traître. La forme de leur Raison, la forme même de leur société ne sauraient être remises en question : toute la hardiesse de leur philosophie consista