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sorte-là, de l’officier qui ne punit ses hommes que pour leur bien et en raison même de l’amour paternel qu’il leur porte conformément au règlement sur la Discipline générale, au philosophe qui pense pour penser. M. Benda lui-même, qui annonce le jour où la pensée bourgeoise pleinement avertie enfin de son impuissance tirera un orgueil inquiet de sa démission et cessera de feindre une mission qui lui échappe, qui annonce le jour où les penseurs se livreront à l’onanisme de l’intelligence miroir, n’ose pas définitivement avouer que le sort des hommes non bourgeois lui est profondément étranger. Il n’arrive point à abandonner l’idée longtemps réchauffée de la mission bourgeoise.

« Je tiens le contemplatif pour le plus grand des clercs, non pas selon la pensée qu’on m’a souvent prêtée, parce qu’il ne servirait pas l’humanité, mais au contraire parce que, sans se donner pour but de la servir et peut-être précisément parce qu’il ne se donne pas ce but, il est celui qui la sert le mieux. »[1]

Ainsi M. Benda ne saurait se dispenser d’une certaine hypocrisie. Plus retors que ses confrères, il ne nie pas comme eux qu’il a cessé de s’intéresser aux hommes, mais il enseigne que c’est en les désertant qu’il les sert le mieux. Ainsi concilie-t-il le prestige éminent auquel un clerc ne saurait malgré tout renoncer, et l’absence finale par quoi il justifie le conformisme auquel il cède en secret.

Tous convaincus que sans les clercs, les hommes seraient enfin bien pauvres, les philosophes s’efforcent de maintenir grâce à la dignité des fins spirituelles qu’ils poursuivent, le respect, la confiance que le bourgeois doit inspirer.

Ces engagements vagues, répétés avec une

  1. La trahison des clercs, pp. 73-74