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installé dans le monde que ses pères établirent pour lui soit prompt à croire qu’il ne fut institué que par la force de la vérité qui était en eux.[1] Le 14 juillet n’est pour lui qu’un symbole du temps, comme Pâques, comme la Nativité, le dimanche des Rameaux. Le commencement des vacances. Mais il s’aperçut de son vide. Il eut le regret de l’âme chrétienne : sans pouvoir, sans vouloir la reconquérir, parce que cette reconquête l’eût mis entre les mains d’une Église qui fut l’appui des ennemis de sa classe. Il trouva mieux. Tout le courant de la philosophie bourgeoise vise au remplacement de cette âme. Kant assura à la bourgeoisie tous les bénéfices de l’âme chrétienne, tous ses prestiges, lorsqu’il substitua à la substance spirituelle le pouvoir abstrait du Je Pense. L’âme, fille de Dieu, servante de la grâce, céda la place à la Raison séculière et lui légua son antique grandeur. La présence et les propriétés de l’âme inclinaient la créature à une modestie, à une humiliation devant Dieu et ses prêtres, que l’orgueil bourgeois ne pouvait accepter. Mais quand tous les vieux pouvoirs de l’âme furent devenus le pouvoir d’un esprit intérieur à chaque homme, un pouvoir absolument autonome qui ne relevait de personne, le bourgeois solitaire trouva en lui comme une dignité essentielle qui le mettait à la place éminente de Dieu. Il put se réjouir dans l’orgueil d’une possession qui n’était qu’à lui. Il fut législateur dans l’univers de l’esprit comme il l’était dans l’univers du droit et de l’économie. Toute sa solitude fut divertie par cet orgueil, par l’exercice de son pouvoir et les combinaisons infinies d’idées qu’il permettait. Toute la philosophie des sciences de M. Brunschvicg s’efforce de manifester dans l’édification des systèmes, l’assurance de ce

  1. Cf. note L.