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Page:Nizan - Les Chiens de garde (1932).pdf/83

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pouvoir et sa permanente dignité. Tout bourgeois peut être fier de sentir battre en lui un esprit capable de créer la physique newtonienne et la relativité généralisée. Tout bourgeois se sent élu.[1]

Mais la grande masse anonyme des hommes qui auraient réellement besoin d’une philosophie, c’est-à-dire d’une vision homogène de leur monde et d’un ensemble de jugements et de volontés claires, la grande masse des hommes qui auraient besoin d’un outillage intellectuel efficace pour réaliser les décisions de leur propre philosophie, sont privés par la bourgeoisie de ces établissements de pensée vers quoi ils tendent. On leur offre seulement cette philosophie multiple qui existe aujourd’hui. Qui affirme exister universellement, c’est-à-dire être bonne pour toutes les espèces d’hommes, pour toutes les conditions terrestres possibles. Mais cette affirmation, cette prétention sont complètement vides.

Car en vérité cette grande masse des hommes qui auraient particulièrement besoin d’y voir clair, qui auraient particulièrement besoin de savoir se reconnaître dans un monde dont ils subissent passivement les violences et les désastres, est tenue à l’écart de cette Philosophie même. La nature de la Philosophie présente la réserve à un certain nombre d’initiés. Elle n’est possédée qu’au terme d’une longue série d’études, de recherches, d’apprentissages, d’examens : à chaque pas, le jeune homme qui se jette dans cette philosophie est averti de la longueur, de la complexité, de la lourdeur de la tâche qui l’attend. La Philosophie est l’un des plus hauts sommets de cette culture que la bourgeoisie

  1. Cf. note M.