Page:Noël - Fin de vie (notes et souvenirs).djvu/53

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leurs tonneaux ; les forgerons y forgeaient, les maréchaux y ferraient les chevaux, les charcutiers y flambaient leurs cochons. C’était un spectacle. Les vieux, assis au soleil, restaient là des heures et des heures sur leur chaise ou sur un banc.

Nombre de maisons avaient leur banc, dont plusieurs ne rentraient pas même la nuit.

Je voyais tout cela du seuil de notre porte, où j’étalais mes joujoux comme une marchandise, en criant : six sous la pièce ! six sous la pièce ! où je cultivais des fleurs dans des pots, où je m’amusais avec Zerbine, la petite chienne de l’épicier, notre plus proche voisin. Il y avait aussi la jolie petite fille aux yeux bleus et vifs du boulanger d’en face, et puis la grande fille noire du cordonnier d’à côté. On jouait au volant, aux billes, on sautait à la corde… Je voyais ces pauvres vieux assis tranquilles et comme regardant en eux-mêmes… et que de choses ils y trouvaient !… leur vie personnelle, et puis toute l’histoire du dernier demi-siècle…

Quels évènements ! Nés en plein Louis XV, au temps de l’Encyclopédie et des philosophes, émus encore, et quelques-uns effrayés, des doctrines qui commençaient à circuler, de Voltaire, de Jean-Jacques, ils avaient vu la période des réformes rêvées avec crainte ou désirées. Puis étaient venus Louis XVI et son Autrichienne, et puis Turgot, et