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aller dans la montagne et en revenir chargé de fardeaux pesants, savoir prendre le poisson, pouvoir plonger, arracher dans le fond de la mer le coquillage solidement attaché au caillou, — il faut savoir, il faut pouvoir ! J’étais, donc, moi, le civilisé, singulièrement inférieur, dans la circonstance, aux sauvages. Et je les enviais. Je les regardais vivre, heureux, paisibles, autour de moi, sans plus d’effort qu’il n’est essentiel au quotidien des besoins, — sans le moindre souci de l’argent : à qui vendre, quand les biens de la nature sont à la portée de la main ? Or, comme, assis, l’estomac vide, sur le seuil de ma case, je songeais tristement à ma situation, aux obstacles imprévus, peut-être insurmontables, que la nature crée, pour se défendre de lui, entre elle et celui qui vient de la civilisation, — j’aperçus un indigène qui gesticulait vers moi en criant. Les gestes, très expressifs, traduisaient les paroles, et je compris : mon voisin m’invitait à dîner. D’un signe de tête je refusai. Puis, également honteux, je crois, et d’avoir subi l’offre de l’aumône et de l’avoir repoussée, je rentrai dans ma case. Quelques minutes après, une petite fille déposait devant ma porte, sans rien dire, des légumes cuits et des fruits, proprement entourés de feuilles vertes, fraîches cueillies. J’avais faim. Sans rien dire non plus, j’acceptai.