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NOA NOA

Peut-être ! et, quoi qu’il arrive, le soleil se lèvera demain comme il s’est levé aujourd’hui, bienfaisant et serein.

Est-ce là de l’insouciance, de la légèreté, de la versatilité ? Serait-ce — qui sait ! — de la plus profonde philosophie ? — Prends garde au luxe ! Prends garde d’en contracter le goût et le besoin sous prétexte de prévoyance…

La vie se fait meilleure chaque jour.

J’ai fini par comprendre assez bien la langue maorie, je la parlerai bientôt sans difficulté.

Mes voisins — trois, très proches, et les autres, nombreux, de distance en distance — me regardent comme des leurs.

Au contact perpétuel du caillou, mes pieds se sont durcis, familiarisés au sol. Mon corps, presque constamment nu, ne souffre plus du soleil.

La civilisation s’en va de moi, peu à peu.

Je commence à penser simplement, à n’avoir que peu de haine pour mon prochain, — mieux : à l’aimer.

J’ai toutes les jouissances de la vie libre — animale et humaine. J’échappe au factice, à la convention, à l’habitude. J’entre dans le vrai, dans la nature. Avec la certitude d’une suite de jours pareils au jour présent, aussi libres, aussi beaux, la paix descend en moi, je me développe normalement et je n’ai plus de préoccupations veines.