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LA DOMINATION

pas la nature et ne regarde pas en soi-même : il est occupé de l’impression qu’il fait sur moi… Si son âme un instant s’isole et rêve, sa rêverie est d’un enfant, il apparaît puéril et vieux. Il est à cet âge où les hommes qui ne sont pas bien portants paraissent ne plus garder assez de force physique pour avoir du courage ; leur attitude est aigre et prudente ; ils attendent tout du respect qu’ils inspirent. Il parle, et bientôt ne se croit plus obligé de m’intéresser. Alors, je le considère avec un mélange de douleur et de joie, et je pense : « Le voilà, cet homme unique ! » Certaines phrases de ses livres semblent faites avec la moelle même de l’enthousiasme ; il a parlé de la beauté comme Tibulle pressait contre son cœur Délia ; il a parlé de la sagesse comme Moïse ; les mots qu’il emploie pour peindre la nature sont humides et somptueux, pareils aux lourds cédrats que je vis dans les villas royales de Florence, et qui, entre les branches