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INVOCATION


Ma ville, écoutez-moi, je chante, c’est la nuit ;
Je viens, les bras chargés de tout l’amour du monde,
Et les poètes morts, dans leur tombe profonde,
Me suivent de leurs vœux et savent qui je suis.

Je suis la sœur du temps, la voix qui continue
Le cri rauque et brûlant au fond des bois jeté,
Les adorations des plantes pour l’été,
L’insatiable orgueil de l’homme vers la nue.

Je suis l’impétueux et douloureux effort
Qui toujours désespère et toujours recommence,
Qui connaît les sanglants regards de la démence,
Qui croit chercher l’amour et ne veut que la mort.

Je suis l’être que tout enivre et tout afflige,
Et dont le cœur parfois si fortement pesa,
Que Samson, soulevant les portes de Gaza,
Semble n’avoir cueilli qu’une fleur et sa tige.