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DON JUAN DE MARAÑA

 

Un jour je vous ai vu monter vers le Carmel,
Les yeux fourbes, luisants, et ravir à Dieu même
La nonne au front trempé d’encens, de miel, de ciel,
Qui vous fuyait, qui vous exècre et qui vous aime…

Puis en tremblant j’ai vu votre songe fumeux:
Le cortège terrible et froid du Purgatoire,
Promenant devant vous ses serpents et ses feux
Et vous montrant sa vaste et livide bouilloire.

C’est fini ; désormais moine, prêtre, martyr,
Renonçant à la pompe éclatante du vice,
A la nonne qui meurt de votre repentir,
Vous serez, dans un cloître obscur, l’humble novice.

Vous serez un exemple exact et sans pareil…
– Un jour, après midi, que, courbé sur la terre
Vous bêchiez, exposant votre front au soleil,
Dans le triste jardin carré du monastère,

Un homme à vos côtés brusquement s’arrêta,
Sinistre, enveloppé dans un manteau de laine.
– Ah ! quand j’ai vu venir Pietro de Ojeda,
Quand je l’ai vu mêlant la flamme à son haleine,

Quand j’ai vu ce passant, haineux comme la faim,
Vous reprocher le temps de votre âpre folie,
Sa sœur morte par vous, son autre sœur enfin
Nonne mourant d’ardeur et de mélancolie,