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L’OCCIDENT

Voir les jardins d’Eyoub où le soleil triture,
Les roses dont il fait sa pourpre nourriture ;
Vivre dans un fantasque et large vêtement
Où le parfum des soirs se glisse mollement ;
Goûter le maïs chaud qu’on mange sur la grappe,
La pastèque écorchée, aqueuse, d’où s’échappe
Une fraîcheur pareille aux brises de la mer !
Se reposer au fond d’un kiosque blanc et vert,
Dont les fenêtres ont la forme de losanges,
Derrière ces murs, frais comme un sorbet d’oranges,
Entendre, dans la cour plus morne qu’un tombeau,
Retomber le palmier liquide du jet d’eau !
Boire, au creux des bols bleus cerclés de filigrane,
Le café, noir comme un pétale qui se fane…
Contempler le Koran, vieux livre jaune et brun
Dont les signes sont un nuage de parfum,
Qui, dans son reliquaire, orné comme des portes,
Semble un coffret divin empli de roses mortes !
Lorsque le soir descend, visiter les sultans
Couchés, morts, sous un drap plus vert que le printemps
Savourer des gâteaux de miel tiède, où s’attache
Le noyau dur, pointu, luisant de la pistache ;
Regarder l’horizon, Yildiz, Buyukdéré…
– Et puis, soudain, brûlant, fougueux, désespéré,
N’ayant jamais trouvé l’ivresse qui pénètre,
Le bonheur dont on meurt et dont on va renaître,
Le suffocant plaisir, abeille dont le dard
Est enduit d’un sirop de mangues et de nard,
La volupté sans fin, sans bord, qui nous étouffe