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LA PRIÈRE DEVANT LE SOLEIL

Des gestes d’un si vif et si doux désespoir,
Que dans l’éther divin où monte toute image
Mes désira se feront un éternel passage !…
– Il n’est point ici-bas d’effroi naissant ou vieil
Où ma tendresse n’ait porté son doux soleil.
J’ai vécu, habitant le secret de ma vie,
Chancelante et debout au bord de toute envie.
Avant qu’au mol néant tout amour soit diffus
Des hommes viendront boire aux sources que je fus ;
Ceux qui, cherchant des bois d’incessante verdure,
Se presseront au goût que j’eus de la nature,
Resteront parfumés d’égile et de cerfeuil ;
Et ceux qui toucheront à ce que j’ai d’orgueil
Sentiront leur front las se dorer comme un dôme.
Ceux qui, dans les soirs clairs, évoquant mon fantôme
Qu’un éternel regret de vivre fait languir,
Afin d’unir aux miens leur peine et leur désir
Baisseront vers mon front leur main triste et lassée,
Pleureront, non sur eux, mais sur moi, plus blessée…
– Nul cœur humain jamais n’eut autant de frissons ;
Mon rêve est un si vif et si ardent buisson,
Que, si j’ouvre mes bras où la tendresse abonde,
Il tombe malgré moi de l’amour sur le monde !…
Amoureuse du vrai, du limpide et du beau,
J’ai tenu contre moi si serré le flambeau,
Que le feu merveilleux ayant pris à mon âme,
J’ai vécu, exaltée et mourante de flammes…

– Pourtant, Soleil, ayant oublié tout cela,