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LA PRIÈRE DEVANT LE SOLEIL

Soleil, vous la verrez, votre émouvante sœur
Qui ce matin dans l’or de vos baisers se pâme,
Lassée et froide ainsi que la lune sans âme,
Les veines et le cœur lugubrement ouverts…
Ô fragile ô penchant ô petit univers
Que toute chose soit mouvante, périssable,
Que les tombeaux aussi soient mortels, que le sable
Soit fait de la victoire éteinte des jours grecs,
Que le néant, inerte et froid, soit fait avec
Les bras de Desdémone et les soupirs d’Hélène…
Savoir qu’un jour la Terre, aride et sans haleine,
N’auraplus d’eau, plus d’air, plus d’ombre et dechaleur.
Nul homme pour pleurer sur l’homme, nulle ardeur
Par quoi l’esprit était plus beau que les étoiles,
Nulle mer, nul vaisseau glissant avec ses voiles
Et passant lentement sur le ciel triste et doux…
– Et nous avoir été tous amoureux de vous
Avoir chanté, avoir aimé plus que les autres ;
Avoir été le tendre et véhément apôtre
De la ferveur, de la pitié, de la beauté,
Et que le temple soit brisé de tous côtés !…
Que ma cendre n’ait plus même la Terre ronde
Quand ma mélancolie est grande comme un monde

– Et pourtant, je le sens, vive et lasse de pleurs,
J’ai vécu si profonde et si haute en douleurs,
J’ai, dans les soirs pensifs, sous les blanches étoiles,
Des bords de mon esprit écarté tant de voiles,
J’ai fait de mes deux bras, dans l’aube et dans le soir,