Je sais que tout se meut, agit, combat, endure
Pour que l’humaine vie et les jeunes verdures
Aient dans l’immense espace un éternel retour !
Je sais que l’arche altière et noble de l’amour,
Où chaque être se croit élu, libre et vivace,
Ressemble au joug qui joint et courbe sous sa masse
Les deux fronts accolés des grands bœufs au labour.
Oui, je sais tout cela. Je referme le livre
Où mon esprit calmé, sans souffrir d’être seul
Gisait.
Sur le feuillet, net et mince linceul,
Les mots écrits avaient le froid léger du givre.
C’est vrai que je cessais d’être triste et de vivre.
Mais ton œil a surpris, ô pasteur des humains,
Mon visage sans flamme appuyé sur ma main,
Et tu n’as pas permis que ta plus chère esclave
Échappât mollement à ton torrent de lave.
Que te dirai-je, ô dieu ? j’ai peur ; j’ai tant souffert
De bonheur, de douleur ; le diamant, le fer
Ne sont pas plus aigus qu’un regard qui torture,
Les yeux sont les démons gardiens de la nature :
Pôles mystérieux où songent les aimants !
Que puis-je souhaiter ; je ne sais pas moi-même ;
Tout trouble, tout déçoit, tout se défait, tout ment.
Mais j’entends que mon cœur murmure faiblement.
En évoquant des morts l’austérité suprême :
« Dormir encor un soir près d’un enfant qui m’aime… »