Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/201

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Je le sais et je songe à mes brûlants voyages,
Au sol oriental, crayeux, sombre et vermeil,
Au campanile aigu, brillant sur le rivage
Comme un blanc diamant lancé vers le soleil !

Je songe au frais palais de Naples, à ses musées
Où règne un blanc climat, nonchalant, engourdi,
Où, dans l’albâtre grec, amplement s’arrondit
La face de Junon, éclatante et rusée !

Je songe à cette salle illustre, où je voyais
Des danseuses d’argent, dans leurs gaines de lave,
Fixer sur mon destin, — fortes, riantes, braves, —
Leurs yeux d’émail, pareils à de sombres œillets.

Je vois le vieil Homère et ses yeux sans prunelle,
Où mon triste regard s’enfonçait pas à pas,
Comme ces voiliers qui, sur la mer éternelle,
Se perdent dans la brume et ne reviennent pas…

Je me souviens de vous, jeune Milésienne,
Beau torse mutilé qui demeurez debout,
Comme on voit, en été, les gerbes de blé roux
Noblement se dresser dans l’onde aérienne ;