Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/22

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
j’espère de mourir…


— Prenez ces yeux, emplis de vastes paysages,
Qui n’ont jamais bien vu l’exact et le réel,
Et qui, toujours troublés par de changeants visages,
Ont versé plus de pleurs que la mer n’a de sel.

Prenez ce cœur puissant qu’un faible corps opprime,
Et qui, heurtant sans fin ses étroites parois,
Eut l’attrait du divin et le pouvoir des cimes,
Et s’élevait aux cieux comme la pierre choit.

Ah ! vraiment le tombeau qui dévore et qui ronge,
Le sol, tout composé d’étranges corrosifs,
L’ombre fade et mouillée où les racines plongent,
Le nid de la corneille au noir sommet des ifs,

Pourront-ils m’accorder cette paix sans seconde,
Sommeil que mon labeur tenace a mérité,
Et saurai-je, en mourant, restituer au monde
Ce grand abus d’amour, de rêve et de clarté ?

Hélas ! je voudrais bien ne plus être orgueilleuse,
Mais ce que j’ai souffert m’arrache un cri vainqueur.
Pour élancer encor ma voix tempétueuse
Il faudrait une foule, et qui n’aurait qu’un cœur !