Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/249

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Ô Destin suspendu, que vous m’êtes suspect !
— Sous les rameaux courbés des tilleuls centenaires
Un puéril torrent roulait son clair tonnerre ;
Des orchestres jouaient dans les bosquets épais,
Mêlant au frais parfum dilaté de la terre,
Cet élément des sons, dont la force éphémère
Distend à l’infini la détresse ou la paix…

— Ô pays de la valse et des larmes sans peines,
Pays où la musique est un vin plus hardi,
Qui, sans blâme et sans heurts, furtivement amène
Les cœurs penchants et las vers le sûr paradis
Des regards emmêlés et des chaleurs humaines,

Combien vous m’avez fait souffrir, lorsque, rêvant
Seule, sur les jardins où les parfums insistent,
J’écoutais haleter le désarroi du vent,
Tandis qu’au noir beffroi, l’horloge, noble et triste,
Transmettait de sa voix lugubre de trappiste
Le menaçant appel des morts vers les vivants !

Oui, je songe à ces soirs d’un mois de mai trop tiède,
Où tous les rossignols se liguaient contre moi,
Où la lente asphyxie amoureuse des bois
Me désolait d’espoir sans me venir en aide ;