Page:Noailles - Les Vivants et les Morts, 1913.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.


Vous connaissiez le poids sentimental des heures
Qui semblent fasciner l’errante volupté,
Quand l’or des calmes soirs recouvre les demeures,
Les gais marchés, le Dôme et l’Université ;

Mais, fougueux inspiré, fier ami des naïades,
Les humaines amours vous berçaient tristement,
Et vous trouviez, auprès d’une enfant tendre et fade,
La double solitude où sont tous les amants !

Accablé par la voix des forêts mugissantes,
Vous inventiez Cordoue, ses palais et ses bains,
La fille de l’alcade, altière et rougissante,
Qui, trahissant son âme offerte aux chérubins,
Soupire auprès d’un jeune et dédaigneux rabbin…

Les frais torrents du Hartz et la mauresque Espagne
Tour à tour enivraient votre insondable esprit.
Que de pleurs près des flots ! de cris sur la montagne !
Que de lâches soupirs, ô Heine ! que surprit
La gloire au front baissé, votre sombre compagne !

Parfois, vers votre cœur, que brisaient les démons,
Et qui laissait couler sa détresse infinie,
Vous sentiez accourir, par la brèche des monts,
Les grands vents de Bohême et de Lithuanie ;