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que m’importe aujourd’hui…


— J’ai longtemps repoussé l’approche de l’ivresse,
L’encens, la myrrhe et l’or que portaient les trois rois ;
Je disais : « Ce bonheur, s’il se peut, ô Sagesse,
Qu’il passe loin de moi !

Qu’il passe loin de moi cet odorant calice ;
Même en mourant de soif, je peux le refuser,
Si la consomption, les orgueils, le cilice
Protègent du baiser. »

— Mais le Destin, pensif, alourdi, plein de songes,
M’indiquait en riant mon martyre ébloui.
L’avenir aimanté déjà vers nous s’allonge,
Tout ce qui vit dit oui.

Tout ce qui vit dit : Prends, goûte, possède, espère,
Ta conscience aussi trouvera bien son lot,
Car l’amour, radieux comme un verger prospère,
Est gonflé de sanglots :

De sanglots, de soupirs, de regrets et de rage
Dont il faut tout subir. Quelque chose se meurt
Dans l’empire implacable et sacré du courage,
Quand on fuit le bonheur !