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la douleur


— Douleur qui me comblez, chantez, voix infinie !
Attachez à mon cou vos froids colliers de fer ;
Qu’importent l’esclavage et la dure agonie,
Je vois les mondes entr’ouverts !

J’ai vu l’immensité moins vaste que mon être ;
L’espace est un noyau que mon cœur contenait ;
Je sais ce qu’est avoir, je sais ce qu’est connaître,
J’englobe ce qui meurt et naît !

L’ange qui fit rêver Jésus sur la montagne,
Qui lui montra le monde et tenta son esprit,
M’a, dans les calmes soirs des verdâtres campagnes,
Tout soupiré et tout appris !

Serai-je désormais l’ermite magnanime
Qui vit de son secret, par-delà les humains ?
Pourrai-je conserver, dédaigneuse victime,
La solitude de mes mains ?

Pourrai-je, quand résonne, ô Printemps, ta cadence,
Ivre du seul orgueil et des seules pitiés,
Écouter la secrète et chaste confidence
Qui va des soleils à mes pieds ?