Aller au contenu

Page:Noailles - Les climats, 1924.djvu/160

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 150 —


Parfois, vers votre cœur que brisaient les démons,
Et qui laissait couler sa détresse infinie,
Vous sentiez accourir, par la brèche des monts,
Les grands vents de Bohême et de Lithuanie ;

Les cloches, les chorals, les forêts, l’ouragan
Qui composent le ciel musical d’Allemagne,
Emplissaient d’un tumulte orageux, où se joignent
Les résineux parfums des arbres éloquents,
Vos Lieder, à la fois déchirés et fringants.

Mais quand le vent se tait, quand l’étendue est calme,
Vous repoussez le verre où luit le vin du Rhin ;
Le Gange, les cyprès, la paresse des palmes
Vous font de longs signaux, secrets et souterrains ;
Et votre œil fend l’azur et les sables marins,
Immobile, extatique et vague pélerin !

Vous riez, et tandis que tinte votre rire,
Vos poèmes en pleurs invectivent le sort ;
Vous chantez, justement, de ne pas pouvoir dire
Les sources et le but d’un multiple délire,
Rossignol florentin, Grèbe des mers du Nord,
Qui mélangez au thym du verger de Tityre
Les gais myosotis des matins de Francfort.

J’ai vu, un soir d’automne, au bord d’un chaud rivage,
Un grand voilier, chargé de grappes de cassis,
Ne plus pouvoir voguer, tant le faible équipage,
Captif sous un réseau d’effluves épaissis,