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Page:Noailles - Les climats, 1924.djvu/47

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Le geste de bénir semblait tomber des palmes ;
Des barques s’éloignaient pour la pêche du thon,
Je contemplais, le front baigné de vapeurs calmes,
La figure des cieux que regardait Platon.
On entendait, au bord des obscures terrasses,
Se soulever des voix que la chaleur harasse
Tous les mots murmurés semblaient confidentiels ;
C’était un long soupir envahissant l’espace ;
Et le vent haletant comme un oiseau qu’on chasse,
En gerbes de fraîcheur s’enfuyait vers le ciel…
Creusant l’ombre, écrasant la route caillouteuse,
L’indolente voiture où nous étions assis
S’enfonçait dans la nuit opaque et sinueuse,
Sous le ciel nonchalant, immuable et précis ;
C’était l’heure où l’air frais subtilement pénètre
La pierre au grain serré des calmes monuments ;
Je n’étais pas heureuse en ces divins moments
Que l’ombre enveloppait, mais j’espérais de l’être,
Car toujours le bonheur n’est qu’un pressentiment :
On le goûte avant lui, sans jamais le connaître…
Dans un profond jardin qui longeait le chemin,
Des chats, l’esprit troublé par la saison suave,
Jetaient leurs cris brûlants de vainqueurs et d’esclaves.
Sur les ployants massifs d’œillets et de jasmins,
On entendait gémir leur ardente querelle
Comme un mordant combat de colombes cruelles…
Puis revint le silence, indolent et puissant ;
La voiture avançait dans l’ombre perméable.