Page:Noailles - Les innocentes, ou La sagesse des femmes, 1923.djvu/190

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Que devenaient-ils quand ils voyaient les noblesses de l’univers, l’implacable obstination des cieux à ignorer les faibles décrets humains, le palais du Vent dans l’Inde monumentale, les jardins de bambous dans l’île de Candie, la force des printemps sur l’antique Sicile, ou mieux encore, dans la plus pauvre auberge du plus pauvre village bâti de chaux et de boue, une humble chambre avec son morne lit, où le maussade et humide silence semble appeler la transfiguration du plaisir ? À quoi ont-ils songé en tout lieu, sinon qu’en ce point même, dans le faste inutile ou la pire misère, eût pu leur être révélée la raison de leur existence éphémère et vaine, que là ils eussent déchiffré leur confus destin, possédé l’expérience de leur nécessité ?

Ceux qui se désistent des privilèges du risque, à quel tribunal secret de leur conscience ont-ils décrété leur déchéance de la joie, admis leur condamnation, prononcé pour eux cette peine de mort du renoncement, plus cruelle que la mort même ? De quel droit ont-ils fait échouer une des suaves combinaisons du sort ? Quelle paix espèrent-ils obtenir de la mort, amicale aux seuls bons travailleurs du rêve, ceux qui n’ont pas, soulevés au-dessus de leurs chétifs scrupules, et dans un sentiment d’innocence démoniaque, commis une fois dans la vie le crime dangereux du bonheur ?…