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Page:Noailles - Les innocentes, ou La sagesse des femmes, 1923.djvu/189

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traction, le plaisir et sa cessation même sont toujours situés dans la nécessité de la mort.

— Peut-être penserez-vous, Madame, que vous aimant comme je le faisais quand je connus celui qui fut ma destinée, j’aurais dû abandonner mon but. Vous objecterez que la pitié m’a toujours semblé le plus naturel, le plus indiscutable des sentiments humains. Il est vrai. Mais si grande que fût ma pitié pour vous, j’eus de moi une pitié plus grande encore. Dès que j’aimai cet homme, j’ai eu pitié de moi, pitié de mon dénuement, de ma pauvreté, de ma tristesse, pitié grande et juste d’une âme qui, jusqu’alors triomphante, mesure par ce qu’elle vient d’obtenir ce qu’elle peut perdre, et qui, confrontant l’univers avec un homme, a trouvé cet homme supérieur au monde.

Et qui peut fuir ce qu’il aime ? Quels sont ceux qui, ayant soudain constaté la fascination d’un visage, et repéré, dans l’enchantement, la consternation, l’inutile effort de dénigrement, les parcelles de la beauté, se sont détournés d’elle, ont renoncé à s’incorporer ce qui donne à l’âme son extension infinie et au corps la juste mesure de son exigence fraternelle ?

Où sont-ils ceux qui, s’arrachant à la tentation, sont partis, ont voyagé, parcouru des paysages, le cœur broyé par l’acceptation du sacrifice ?