Page:Noailles - Les innocentes, ou La sagesse des femmes, 1923.djvu/9

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respirer ensemble loin de tout l’univers. Nous étions tranquilles, nous qui nous aimions tant, et pareils à des enfants qui, ayant pu échapper par ruse à la vigilance des grandes personnes, ont rejoint le coin préféré du parc, son ombre enchanteresse où se trouvent les arceaux du jeu de croquet, les cordages aériens de la gymnastique et la délicieuse balançoire, convoitée, défendue, enivrante. Dans cette chambre étroite et sombre, tant que tu fus près de moi, contre moi, miré en moi, oui, tout nous parut naturel. Nous n’eûmes pas ces grands bouleversements dont on parle dans les livres romanesques. J’étais, certes, éblouie par ton visage si proche et ton regard recouvrant le mien, et je me disais, pour la première fois de ma vie, que c’est bien beau les yeux, que c’est incroyablement beau, mais on est étourdi aussi par le soleil sans qu’il y ait là un miracle angoissant ; et s’il nous faut expier un jour ce simple et divin bonheur d’avoir pressé notre passion entre notre bras, je dirai que l’inimitié du sort excède ses droits, que nous fûmes sans torts et sans prétentions extrêmes, et non désignés pour la vengeance du destin. Nous n’avons voulu que ce baiser dont l’absence nous eût tués, nous n’avons pas mêlé à cette ineffable nécessité, à cet appétit céleste, les exigences désordonnées de l’esprit, les serments âpres, les