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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/249

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LE LIVRE DE MA VIE

C’est une des lois les plus constantes du destin, dédaigneux des hommes, lesquels pourtant ont fait de lui un dieu sensible à leurs prières, que l’on ne puisse goûter des moments de bonheur, pourtant toujours traversés d’ennui et de languissement, sans que le malheur vienne interrompre notre riante ou médiocre sécurité.

Un jour d’août, à Amphion, ma sœur et moi, en costume blanc de tennis, une cravate de soie bleu pâle nouée autour du col, coiffées, sur nos longs cheveux, d’un chapeau de feutre aux ondulations romanesques, nous nous promenions sur le bord du lac, dans cette partie du jardin qui me semblait plus parfaite par l’exubérance de hauts magnolias vernissés. Leurs larges fleurs au parfum fruitier et torrentiel, s’épanouissaient au-dessus de sveltes palmiers qu’humectait le courant d’une fine source. Soudain, une querelle éclata entre nous. Les jeunes êtres sont des fauves, l’ardeur des lionceaux les habite, si doux, raisonnables et affectueux que s’affirment à l’ordinaire leur esprit et leur caractère. Inexplicablement et sans que l’on puisse conjurer l’instinctif orage, le défi, la contradiction, l’invective se donnent libre cours. Chacun des combattants, pareils à des gladiateurs et oubliant l’habituelle tendresse, choisit