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LE LIVRE DE MA VIE

onctueux qui, lentement, recouvrent et abolissent la conscience. Mais, perspicace, je compris que l’enfant courageuse et brutale qui venait de renoncer à la lutte par elle-même provoquée s’était sentie malade, était touchée par quelque ennemi intérieur de la régulière et puissante respiration. N’ayant plus connaissance de rien que de la résolution affligée où j’étais de la servir, je la ramenai à petits pas vers notre maison, et le médecin, aussitôt appelé, constata qu’elle était atteinte depuis plusieurs jours d’une pleurésie. Brave, obstinée et de cœur fier, ma sœur parut ne pas s’occuper d’elle-même, des soins confus et douloureux qui lui furent donnés. Pour ma part, je sentis en moi les veines de l’âme s’ouvrir, la vie me quitter. Quoi ! ma sœur quotidienne et indéchiffrable, l’être qui ne s’accointait de personne, qui, fréquemment, me bousculait et me peinait, ma propre personne divisée, l’enfant de mes parents, le seul corps humain qui, étranger à moi-même, était pourtant tout moi-même, avait été frappée de la foudre à mes côtés sans que mon organisme eût fléchi avec le sien ! Mon seul vœu était de prendre la moitié de son mal, moi dont la substance était entièrement composée de la sienne. De tels souhaits nés de la chair, issus de la profondeur ancestrale, ne sont pas exaucés, mais la rébellion de l’instinct ne se laisse pas apaiser. Dès cette heure tranchante, que mon cœur n’acceptait