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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/34

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LE LIVRE DE MA VIE

dame en noir au visage de hibou fatigué, au chapeau burlesque, orné d’une de ces voilettes de gaze, d’un bleu de bleuet qui, jadis, évoquait des amazones cavalcadant sous le feuillage ou des voyageuses intrépides. Je contemplais en cette forme lourde et basse, qu’enveloppaient mystiquement les lauriers et la vénération d’un peuple immense, la reine Victoria, idole de ma mère. Mais ma mère, quelque amour qu’elle eût voué à la vieille souveraine qui avait distingué et honoré particulièrement son père, parlait avec déférence de la République française.

Mes parents, dont je connaissais et méditais les origines, mais que je considérais toujours comme les compatriotes actuels de M. et de Mme Philibert et de moi-même, née à Paris, étaient des hôtes courtois. Ils ne se permettaient sur aucun sujet de politique française des observations désobligeantes.

« C’est un légitimiste », les entendis-je prononcer un jour à voix secrète, au cours d’une de nos réceptions, et leurs regards s’attardaient sur un aimable vieux monsieur, d’aspect frivole et parfaitement gai. Le ton que mes parents avaient pris pour désigner le visiteur qui leur était amené par un groupe d’amis était, je dois l’avouer, un ton chagrin, comme celui que suscite une obstination vaine, un enfantillage. Aussi mon attention s’éveilla-t-elle. Lorsque s’acheva la réunion, mes parents s’entretinrent longuement du sincère courtisan qu’une