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Page:Noailles Le Livre de ma vie.djvu/60

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LE LIVRE DE MA VIE

Quelques amis de mes parents s’acharnaient à traiter de « diable néfaste » ce lumineux esprit ; mais déjà, sans que je connusse son poème, Hugo me prêtait mystérieusement son cri reconnaissant, qui joint à sa patrie le philosophe universel :

Ô pays de Voltaire !…

Jean-Jacques Rousseau, lui, avait envahi mon imagination d’enfant ignorante et intriguée par la seule magie de son nom mêlé au bonheur champêtre comme à la mélancolie de l’espace méditatif. J’avais respiré, goûté Rousseau sous les châtaigniers du lac de Genève, au bruit des sources courant sous les ronciers, au tintement des cloches des troupeaux et sur les rivages du soir, lorsque stagne autour des fermes, dans le murmure associé du chant des grillons et du clapotis des vagues, une odeur de fumée et de laitage.

Le génie, quand il est vaste et légendaire, s’empare des paysages, prend possession des cités et des campagnes, s’annexe tous les aspects de la nature, à tel point que l’aurore semble s’élancer de la poitrine d’Homère et les clairs de lune émaner du cœur de Byron ou de la tristesse étudiée de Chateaubriand. Je n’ai lu Virgile qu’au milieu du chemin de ma vie ; les Mémoires d’Outre-Tombe ne m’ont attirée et absorbée qu’aux heures des longs chagrins adultes, et pourtant Virgile