Page:Nodier - Ackermann - Vocabulaire de la langue française.djvu/9

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l’exercice médité de la parole ; parce qu’ils prononcent autrement que nous plus de la moitié de nos voyelles, plus de la moitié de nos articulations. Depuis qu’on invente tant de helles choses dont ta plupart ont déjà été inventées , comment n’a-t-on pas inventé encore un instrument qui laisserait fort en arrière toutes tes découvertes de tous les siècles, sans en excepter l’imprimerie : une phonopée de la voix humaine (voilà déjà son nom), qui rendrait, sous les soixante-quinze ou quatre-vingts touches de son merveilleux clavier, toutes les vocalités simples ou consonnantes des langues, et qui pourrait, suivant le goût et l’érudition de l’artiste philologue, les soumettre à toutes les variations de leur mélopée ? Ce novutn orgunum aurait plus de portée que celui de Bacon. Tant que ceci ne sera point fait, il ne faut pas penser à expliquer la prononciation par des signes.

Il suffit, pour se faire une notion juste de cette impossibilité invincible, de jeter les yeux sur les livres où Ton s’est efforcé de la vaincre, et de les comparer avec le Dictionnaire de l’Académie française , où elle a été si sagement évitée, M, Gattel et M. Landais se croient, par exemple, bien autorisés à reprocher au Dictionnaire de l’Académie de n’avoir défini le double LL mouillé de fille et de famille que par ce nom vague de double LL mouillé t qui ne donne aucune idée au lecteur du mécanisme ou de l’artifice de sa prononciation ; et il est certain que ce serait une faute grave s’il y avait moyen de définir autrement cette articulation dans une explication écrite. Mais ce moyen ,• ce serait un signe simple bien convenu 5 et ce signe n’existe pas.

Qu’ont fait dans cet embarras nos phonographes de vocabulaires ? Le plus habile a écrit mouyé, quijse rapproche un peu de la prononciation naturelle, mais qui ne l’exprime point, ïy grec de moyen et de moyeu, qui est une vraie consonne, étant toutefois la consonne douce du double LL mouillé, et ne pou* yant en représenter la valeur rude ; un autre, moutié, qui est une faute énorme de prononciation ; M. Gattel , mouglié, autre barbarisme qui ne revient à la valeur propre de l’articulation que dans la bouche d’un Italien, et que je me garderais bien de condamner dans un dictionnaire à l’usage exclusif des Italiens ; M. Landais, mou-i-é, innovation annoncée avec beaucoup de pompe dans un livre imprimé avec beaucoup de luxe, mais qui prouve, à mon grand déplaisir, que le dernier des Dictionnaristes de la langue française n’en savait pas tout l’alphabet* Ces quatre orthographes sont presque également absurdes. Qu’est-ce donc que le double LL mouillé ? C’est tout bonnement le double LL mouillé, comme l’Académie vous Ta dit, et je crois que l’Académie serait bien embarrassée de le mieux définir avec nos signes. C’est en effet une articulation qui n’a point de signe propre ; qui ne s’est jamais exprimée dans l’orthographe néo-latine que par des signes composés , et qu’il serait impossible d’exprimer autrement, tant que la néographie ne nous aura pas dotés d’un alphabet complet, si elle est capable d’en faire un, et surtout de le faire recevoir. L’Académie a donc pris le seul parti qu’il y eût à prendre quand elle s’est renfermée dans une phrase technique au lieu de se perdre en fausses approximations , qui n’aboutiraient en dernier lieu qu’à vicier la prononciation d’une manière irréparable, comme je l’ai prouvé tout à l’heure par quelques exemples. Si la définition de l’Académie ne vous suffit pas (et je conviens qu’elle ne peut suffire), demandez au premier Italien venu comment il prononce le gli article, à un Espagnol comment il prononce le double LL de llamar. Faites mieux encore : prenez la peine de vous en informer auprès de Vécailière du coin, chez Vémailleur, chez le quincaillier, chez le taillandier, chez votre tailleur ; de l’homme qui donne la paille à vos chevaux, de la bonne qui donne la bouillie à vos enfants. Toute émission de la parole qui n’a point de signe écrit dans l’alphabet ne saurait s’enseigner par d’autres moyens que la parole. Il me paraît évident, d’après ces principes (et je suis encore à chercher quelques objections possibles contre une théorie aussi claire), qu’une orthographe conforme à la prononciation, dans une langue qui n’est pas parvenue à représenter par des signes propres le tiers de ses éléments, est le caprice extravagant d’un grammairien sans logique. Cependant un dictionnaire de prononciation est en grande partie, c’est-à-dire pour plus de moitié , la malheureuse application de cette idée inexécutable , qu’il faut reléguer au nombre des chimères scienti-