Page:Nodier - Ackermann - Vocabulaire de la langue française.djvu/8

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ainsi dire, à sa dernière génération, ne paraissent pas l’objet d’une recherche trop laborieuse ; si, à quelques exceptions près, à beaucoup d’exceptions près, peut-être, mais il faut s’y soumettre sans hésiter plutôt que de tomber dans le faux , cette généalogie lexique n’est guère plus embarrassante que celle d’un fait de l’état civil appuyé sur des actes patents ; si on peut en faire, dans ce mode et avec cette réserve, une sorte de science exacte, il n’en est pas de même à l’égard de la Prononciation , qui est certainement la plus arbitraire de toutes les sciences de l’homme, la plus difficile à formuler, celle qui se refuse le plus irrésistiblement à une démonstration écrite. Et la raison en est si sensible, que Ton comprend a peine qu’elle ait échappé aux innombrables vocabulistes qui ont entrepris de figurer la prononciation française. En effet, on est toujours parti dans cette entreprise d’un principe absolument faux, c’est-à-dire de l’opinion que l’orthographe est l’image de la prononciation, tandis qu’elle n’est réellement, comme l’indique l’étymologie du mot, que la raison de l’écriture. Or il n’y a souvent rien de plus contraire à la raison de l’écriture que l’usage de la prononciation. U orthographie , vieux terme qui rend mieux ma pensée, est une méthode tout à fait distincte de l’orthophonie. Ce sont deux genres de signes différents.

Pour que l’orthographe pût devenir l’image parfaite de la prononciation , il faudrait que* tous les signes de la parole fussent représentés par un signe correspondant de Fécriture, et c’est ce qui n’est arrivé dans aucune langue. S’il en est quelques-unes qui offrent, jusqu’à un certain point, cette heureuse appropriation du signe écrit au signe vocal , ce n’est certainement pas la langue française, dans laquelle Honorai Rambaud comptait. déjà, en 1878, quarante-trois éléments de prononciation contre vingt-trois éléments d’écriture. Encore faut-il rabattre de ceux-ci les signes composés, comme le X, les signes doubles, comme l’Y ou le’K, les signes équivoques, comme le C sifflant qui est un S, et, le S doux qui est un .Z, les signes nuls, comme PH, hiéroglyphe insignifiant d’une valeur inconnue. Et, au contraire, faudrait-il ajouter» pour être complet, au calcul d’Honorat Rambaud, quatre ou cinq éléments de prononciation dont il n’a pas tenu compte, mais qu on trouverait dans nos dialectes. Il s’en faut donc des deux tiers au moins que l’orthographe de la langue française ait la monnaie de sa prononciation, et l’idée de figurer une cinquantaine de sons par une quinzaine de signes est une des plus absurdes qui soient jamais entrées dans h. tête des hommes. Tout grammairien qui a pu s’aviser de rendre l’orthographe conforme à la prononciation n’a prouvé qu’une chose, mais je conviens qu’il l’a .prouvée dune manière irrésistible : c’est qu’il ne savait ni ce que c’est que l’orthographe , ni ce que c’est que la prononciation , ni ce que sont les voix de la parole, ni ce que sont les signes de l’écriture. La bonne prononciation s apprend dans le commerce oral des personnes bien élevées qui parlent bien , et il n’y a point d’autre moyen de l’apprendre. La bonne orthographe s’enseigne par la lecture réfléchie des bons livres, imprimés avec l’intelligence que donne aux bons imprimeurs l’étude des i^adicaux ou de l’étymologie , et il n’y a point d’autre moyen de l’enseigner. Pour qui est faite d’ailleurs cette traduction du mot écrit qui tente d’exprimer la valeur du mot prononcé ? Pour l’homme du pays ? il l’apprendra cent fois mieux au prône, si son curé est convenablement lettré, ou au barreau, si par hasard son avocat parle français. Il l’apprendra au théâtre , dans les cercles , dans les rues.^Il ne l’apprendra pas dans les livres.

Pour l’étranger qui voyage ( et dans ce cas seulement je ne pourrais en contester l’utilité) ? mais s’est-on jamais flatté de donner aux étrangers une notion exacte de notre prononciation par la cacographie misérable dont on se sert pour la représenter ? Cela ne serait praticable qu’autant que nos signes écrits seraient reçus du consentement unanime des nations dans l’acception que nous sommes convenus de leur Attribuer en prononçant, et tout le monde sait parfaitement qu’il n’en est rien. Ainsi l’Italien, l’Espagnol, l’Anglais, l’Allemand qui consultent nos dictionnaires de prononciation figurée, pour former la leur, tomberont d’une erreur dans une autre, sur la foi de cette explication qui n’explique rien , parce que la valeur virtuelle de la lettre ne saurait être définie que par des communications verbales , par l’usage de la conversation , par a.